Comodoro rivadavia – Argentine – Ville atypique perdue dans
un désert de derricks et d'éoliennes.
Dernier jour de l'année.
Petit déjeuner à l'hôtel, la télévision
prend une place démesurée dans la salle de restaurant, comme
partout en Argentine.
Informations nationales : un homme est à califourchon sur la barrière
de sécurité d'un auto-pont, il est sur le point de sauter
dans le vide. Un policier parlemente avec lui pour le dissuader de se
suicider... Images transmises en direct...
J'ai la nausée.
L'équipe de pompiers arrive, puis l'épouse suivie de sa
fille. L'homme est maintenant entouré d'une fourmilière
géante. Il embrasse sa fille, soulève imperceptiblement
l'unique jambe le retenant au sol... L'armada de policiers le jette à
terre, lui maintient violemment les mains dans le dos comme il est d'usage
pour les criminels, puis l'embarque dans une voiture de police.
Je reste médusée.
Médusée par cette société de spectacle transformant
les drames humains en scoops croustillants.
Médusée par l'interventionnisme des forces de « l'ordre »
privant un homme de la seule liberté qui lui reste.
Le 31/12 toujours, 18:00, dans une brasserie :
Cinq écrans de télévisions agressifs transmettent
en direct une scène similaire... Un homme est à son balcon,
un flingue à la main, il parle tout seul. La scène est filmée
sans discontinu, à renfort de zooms violeurs et de messages clignotants
indiquant que ce dernier, ouvrier dans une usine, menace de se suicider.
Quelques mètres plus loin, sur le trottoir, une équipe
de télévision nous interview :
La journaliste à tête de speakerine dévoile un sourire
carnassier en apprenant que l'on est français... un autre scoop.
« Alors, que souhaitez-vous à vos connaissances pour
l'année à venir ? »
… J'ai toujours détesté ce genre de passage obligé,
ces vœux pré-dictés que l'on récite presque
comme une poésie apprise par cœur, sans penser à ce
que l'on dit : santé, amour, argent, blabla.