Le voyageur souhaitant se rendre au village isolé de Caleta Tortel doit disposer de temps, de patience et d'un sens aigu de la « débrouillardise ». Lové dans les fjords patagons sur la côte pacifique chilienne, Tortel se mérite.
Quatorze heures sont déjà nécessaires pour relier
El Chalten à la ville frontière de Los Antiguos. Un bus
assure ensuite le passage au Chili en une paire d'heures. Deux petites
heures pouvant se transformer rapidement en une matinée entière
si les douaniers chiliens sont d'humeur à fouiller scrupuleusement
les bagages des voyageurs infortunés. Le transport d'une orange
peut en effet se révéler fatal alors que le passage de liquide
hautement inflammable ne posera pas problème. On n'est jamais trop
prudent avec les oranges... comme tous fruits et légumes, elles
sont hypothétiquement porteuses de germes hautement contaminants.
Arriver au bourg endormi de Chile Chico, le voyageur sera rassuré
de rencontrer une banque car les bureaux de change n'existent pas dans
ce village. A quoi servirait une « casa de cambio »
dans une agglomération frontalière ? La banque accepte de
changer uniquement des dollars américains et bien sur le distributeur
de billets flambant neuf – une merveille – n'accepte pas les
cartes Visa... bien trop commun. Que faire alors lorsque l'on ne dispose
que de pesos argentins ? Et bien il faut faire le tour de toutes les petites
boutiques de la ville en implorant les marchands d'accepter de changer
votre monnaie. En général, l'épicier refuse et vous
conseille d'aller voir le marchand de chaussures. Oui, ce dernier achète
des pesos chiliens mais pas les pesos argentins et vous propose d'aller
voir le postier, qui bien sur, n'est pas intéressé et vous
conseille d'aller voir l'épicier... la boucle est bouclée
et vous n'avez toujours pas de change !
Vous commencez à désespérer et après cette
course effrénée dans la ville (il faut se dépêcher
car les magasins vont fermer) et votre estomac crie famine... mais sans
pesos chiliens impossible de manger !
Dans une ultime tentative désespérée, vous retournez
au distributeur de billets... vous avez deux cartes de crédit tout
de même! Deux cuisants échecs.
La larme à l’œil, l'estomac dans les talons, vous portez
votre regard de chien battu sur un petit monsieur bedonnant au costume
impeccable faisant les cents pas dans l'agence. Ultime espoir... le directeur
de la banque!
Vous lui exposez votre cas complexe s'il en est. Compréhensif et
intéressé par un taux de change avantageux, ce dernier accepte
de vous changer grassement trois mille pesos argentins sous le manteau.
« Ne l'ébruitez pas surtout, j'aurais des ennuis... »