Indiens Mapuches : le cri de la terre (Claire Martin, Libération, 24/03/2008)
Sols acidifiés par les pins
«Grâce à cet espace regagné par la lutte , se félicite
Rodrigo Huenchullan, 26 ans, nos familles peuvent avoir plus de bétail
et vivre mieux.» Cependant, la terre récupérée
est encore incultivable. Les sols ont été acidifiés par
les pins. «On arrache les plantations exotiques pour laisser repousser
les espèces locales, et la nature reprend peu à peu le dessus.»
Pour gagner leur vie, beaucoup de jeunes sont obligés d'émigrer
vers le nord durant les mois de cueillette de fruits. Et le manque de terre
a déjà poussé certains vers les périphéries
pauvres des villes. Plus de 50 % des Mapuches (1) seraient citadins.
Selon un sondage de 2002, 28 % des Indiens vivent sous le seuil de pauvreté.
Temucuicui ne fait pas exception. Dans la maison contiguë à celle
de Rodrigo, son frère Jaime vit avec sa femme Griselda et leurs deux
enfants Mankilef, 3 ans, et Wanglen («Etoile de l'aube»),
4 ans. S'il y a l'électricité et l'eau courante, une cuisinière
à bois et une télé, les portes se résument à
un tissu passé dans une ficelle détendue et les toilettes sont
dehors. Ils n'ont pas de voiture. Le bourg le plus proche, Ercilla, est à
une heure de marche. Des conditions de vie difficiles dans une région
où il pleut plus de la moitié de l'année, et où
les températures peuvent tomber à moins 5 en hiver. «Jaime
est tellement souvent en prison ou recherché qu'il ne peut pas cultiver.
Parfois, on n'a pas de quoi manger.» Comme son mari, une quinzaine d'hommes
de Temucuicui sont poursuivis par la justice.
Après avoir récupéré la parcelle de Mininco, la
communauté vise les terres qu'elle estime usurpées par un grand
propriétaire agricole, René Urban. Ce descendant d'émigrés
suisses a vu sa maison, quelques-uns de ses champs et des véhicules
brûler en 2002. Il accuse également les Mapuches d'avoir égorgé
ou volé plusieurs de ses vaches. Cet homme influent, qui garde un portrait
de Pinochet dans son salon, est à l'origine de la plupart des plaintes
contre des habitants de Temucuicui. Se disant menacé de mort, René
Urban a obtenu la protection de plus d'une centaine de policiers pour le défendre,
lui, sa famille et ses terres. «Je ne vois pas ce que veulent ces gens,
tonne l'imposant septuagénaire. Quand ils ont des terres, ils ne les
cultivent même pas. Je n'ai pas l'intention de partir. Cette terre,
je la tiens de mes aïeux.» Ses grands-parents sont arrivés
au début du XX e siècle. D'autres, déjà
au Chili, leur en avaient conté les merveilles.