Indiens Mapuches : le cri de la terre (Claire Martin, Libération, 24/03/2008)
«Ignorants, paresseux et alcooliques»
«Tous ces colons ont bénéficié de terres prises
aux Mapuche s, remarque Fabien Le Bonniec, doctorant en anthropologie à
l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris. Jusqu'au milieu
du XIX e siècle, le territoire des Mapuches est indépendant.
Il recouvre 5 millions d'hectares au sud d'une frontière tracée
par le fleuve Bio Bio et au nord du fleuve Tolten. Après la «Pacification
de l'Araucanie» (1861-1883), douce appellation de ce qui fut une guerre
d'annexion sanguinaire, l'Etat chilien les réduit à vivre sur
500 000 hectares, dans des réserves. Sur les plaines fertiles
de cette région, «le Chili veut faire son grenier à céréales,
explique Fabien Le Bonniec. A l'époque, et c'est malheureusement encore
souvent le cas, on considère le Mapuche comme un paresseux, ignorant
et alcoolique. On incite donc les Européens à venir cultiver
au Chili.» Dans les capitales européennes s'ouvrent des bureaux
de colonisation offrant des «terres vierges» . Une famille européenne
peut se voir offrir 150 hectares quand une famille mapuche se retrouve
avec 3 hectares, souvent peu fertiles.
Sur certains murets de Temucuicui, on peut encore lire «Votez Rodrigo
Huenchullan pour les municipales». Traces d'un passé où
la communauté croyait encore à la politique. «Nous avons
tout essayé pour faire valoir nos droits , insiste Rodrigo. Mais la
discrimination est trop forte.» Les Indiens n'attendent pas grand-chose
de la Conadi, qui leur a pourtant déjà restitué plus
de 100 000 hectares. Cet organisme est né en 1993 avec la
loi indigène, censée protéger les terres et ressources
naturelles des peuples autochtones. Mais son budget n'est évidemment
pas à la hauteur des revendications territoriales des Mapuches.
Quant à la loi indigène, souligne le maire de Tirua, Adolfo
Millabur, l'un des rares élus indiens, elle est d'une portée
très limitée, car «toutes les autres lois, celles sur
la pêche, la mine, l'électricité notamment, prévalent
sur ce texte !» Résultat, le territoire mapuche continue d'être
grignoté légalement par les entreprises hydroélectriques,
touristiques et les multinationales du bois, comme c'est le cas depuis la
libéralisation économique entamée sous la dictature de
Pinochet (1973-1990).