Isabella ou la grande précarité chez
les anciens
Dans les rues de La Paz, le nombre d'anciens faisant la manche est préoccupant.
Recroquevillées sur le trottoir, cherchant à se réchauffer
dans un rayon de soleil, de petites mamacitas en haillons bien trop fins,
le corps noueux comme un sarment de vigne, la peau du visage parcheminée
et le regard implorant tendent la main, ou vendent trois pommes et une boite
d'agrafes pour tout étalage.
A la gare routière, une de ces petites mamies nous
demandent de l'argent pour manger. On peut lire dans son regard les nuits
dans le froid et sa résignation à mendier. Détresse
vitale.
Je lui caresse la joue. Elle se laisse faire. Je lui prend la main et lui
dis qu'on va aller ensemble lui chercher à manger. Elle nous suit,
sans un mot.
Isabela a 70 ans, mais en parait dix de plus.
- "Qu'avez-vous envie de manger ?"
- "Un sandwich au poulet".
Je me dis que oui, c'est bien du poulet. Elle a besoin
de protéines. Elle ne doit pas manger souvent de la viande.
Elle préfère attendre devant le snack pendant que je passe
commande. Empreinte de dignité.
Je demande deux sandwichs. Je me dis qu'elle mangera ce soir aussi. Pathétiquement
royal.