Marcel
Mauss, Essai sur le don : in Sociologie et anthropologie, Puf, coll.
« Quadrige », 2001
Paru en 1923-1924 dans la revue L'Année sociologique, l'« Essai
sur le don » est un des textes les plus célèbres
et les plus denses de la littérature anthropologique. Marcel Mauss
n'est jamais allé sur le terrain et les faits qu'il analyse ici ont
été rapportés par des ethnographes (Franz Boas, Bronislaw
Malinowski, Charles G. Seligman, etc.). Ils concernent des sociétés
du Pacifique : Polynésie (Samoa, Nouvelle-Zélande) et Mélanésie
(Nouvelle-Calédonie, Trobriand, Nouvelle-Guinée), tribus indiennes
de la côte nord-ouest de l'Amérique. Leur vie matérielle
et morale y est imprégnée de l'esprit du don. Ainsi, la chaîne
ininterrompue de la kula des îles Trobriand forme un vaste système
d'échange cérémoniel de don et de contre-don. L'hostilité
réciproque est ainsi désamorcée et on rend avec intérêt
pour manifester sa supériorité. Mais avec le potlatch des tribus
du Nord-Ouest américain, la logique de l'honneur est poussée
à son paroxysme. C'est à qui sera le plus follement dépensier.
Chefs et nobles rivalisent de prodigalité dans une consommation effrénée
et une destruction somptuaire des richesses.
Il y a dans ces systèmes, explique Mauss, une triple obligation :
celle de donner, de recevoir et de rendre le présent. Le don est en
fait intéressé (socialité, prestige, domination, séduction,
rivalité), mais il est absolument irréductible à l'intérêt
marchand : Mauss ruine ainsi l'utilitarisme classique de l'économie
politique. Pourquoi le présent reçu est-il obligatoirement rendu ?
Parce que la nature du don est d'obliger à terme. Ne pas rendre, c'est
perdre la face et le prestige. Il y a un esprit de la chose donnée,
une force inhérente et une part de soi dans l'objet. Ces systèmes
du don échangé sont des « faits sociaux totaux »,
c'est-à-dire qu'ils mettent en branle la totalité de la société
et de ses institutions.
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