Michel Onfray, Théorie du voyage, Poétique de la géographie, Livre de poche, 2007.
La déprise du moi social
libère l’injonction socratique à se connaître soi-même.
Car le premier voyageur rencontré, “ le plus intime, le plus
pressant, le plus accolé à son ombre ”, c’est évidemment
soi. Partir pour fuir un réel angoissant ou pour se fuir soi-même,
c’est aller au-devant d’un plus grand danger : “ se retrouver
face à soi, ou pire : face au plus redoutable en soi ”. Cette
mise en jeu de l’identité serait consubstantielle au voyageur
et inexistante chez le touriste, lequel, ne cherchant “ rien ”
(sur le plan existentiel, s’entend), n’obtiendrait rien non plus,
nous dit Onfray.
Le célèbre “ What are you doing ? ” popularisé
par le réseau social Twitter creuse ce vide existentiel de façon
abyssale. L’incandescence expressive sous sa version dématérialisée
actuelle, c’est 140 caractères autorisés par message tweeté
: “ Just landed in L.A. 2 minutes ago ”. On peut être ravi
de l’apprendre. Ou pas ! Pour autant Onfray ne crie pas avec les loups
contre la mondialisation et ses échanges qui, à trop nous faire
voyager tueraient le voyage. Tout est affaire de disposition mentale, affective,
physique. La vitesse et la démultiplication des voyages n’est
rien contre le risque, majeur celui-ci, qui consiste à partir “
pour vérifier par soi-même combien le pays visité correspond
bien à l’idée qu’on s’en fait ”. Comme
en leur temps les prêtres blancs jaugeaient les peuplades indigènes
à l’aune de leur culture, judéo-chrétienne forcément.
“ On pourrait appeler cette fâcheuse tendance à voir le
réel avec le filtre de sa culture la position du missionnaire ”,
s’amuse Onfray. C’est la seule allusion un peu leste de cet auteur
qu’on sait généralement en verve sur le sujet.
Dans cette Théorie du voyage, c’est l’amitié, pas
l’érotisme, qui s’arroge la première place. Onfray
recommande en effet de partir à deux, mais surtout pas en couple. Comprenez
qu’il vous faut choisir un compagnon du même sexe – remarque
qui ne s’adresse qu’aux hétérosexuels bien entendu
– car “ là où l’amour paraît fragile,
dépendant de l’usage des corps charnels, l’amitié
connaît une véritable force, insoucieuse et indépendante
des affres amoureuses ”. L’amitié selon Onfray fonctionne
par capillarité selon un mode quasi gémellaire. C’est
le lieu de l’assistance spontanée, de la compensation mutuelle
des faiblesses, de l’improvisation, de la démultiplication des
initiatives qui élargissent l’horizon. C’est aussi, Onfray
l’avoue, la possibilité de rencontrer “ librement ”
d’autres hommes ou d’autres femmes sans les entraves liées
à la présence du conjoint. Libertin, va !